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a black and white photo of a building with graffiti on it

« Frida peint d’un seul tenant, comme on recouvre un petit mur blanc d’une fenêre en trompe-l’oeil.

Elle commence par le haut et déroule son tissu en vagues comme pour ajuster au regard des autres ce qu’elle voit dans sa tête. Les contours sont vite tracés, elle est une peintre de couleurs et de fluides, comme si elle habillait sa toile, drapait, coupait, tendait pour vêtir au plus juste les habitants de son esprit. Elle aime le détail, le microscopique, oubliant l’ensemble et la composition quand ses doigts triturent au pinceau fin le coloris d’une fleur, un petit pied tordu, le regard noir en boutons de bottine d’un perroquet. Elle se tache peu, ne s’échevelle pas, elle est dans le registre de l’autopsie d’une orchidée, le souci de la miniature, le coupé chrurgical. Quand les gens décèlent des sens cachés dans ses tableaux, ça la fait rire, comment ne pas les décevoir, elle peint juste ce qu’elle voit. Et ce qu’on voit échappe et bouge, alors il faut peindre souvent pour courir après.

Quand elle peint son visage encore et encore et encore, c’est parce que ce paradoxe l’obsède : elle regarde dans le miroir ce visage qu’elle n’a jamais vraiment vu, puisque c’est lui-même qu’elle promène partout pour voir. Est-elle la seule à souffrir de ne pas voir directement son propre visage, et de savoir qu’il en sera toujours ainsi ? De n’en connaître que le reflet, c’est à dire l’image ? Frida est fascinée par le décalage qui s’opère entre la première fois que l’on voit quelqu’un et la perception que l’on en a quand il nous est devenu familier. L’écart est fantastique. Jamais on ne verra à nouveau cette personne comme la première fois, c’est terminé, c’est évanoui. » Claire Berest Rien n’est noir

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